"C'est notre indien de la rue Chaussade qui s'en est allé"

Deux représentants du secteur agricole tapent du poing sur la table des grandes surfaces. Affectés par le mépris montré aux producteurs en termes de prix et de reconnaissance, ils promettent de prochaines actions percutantes si cette absence de considération continue.
Jusqu’au 1er mars, des négociations commerciales ont lieu entre les transformateurs et les distributeurs de l’alimentation. Les oubliés au fond de la chaîne ? Les producteurs. Ceux qui justement permettent aux Grandes et Moyennes Surfaces de faire un maximum de profit en achetant leurs produits toujours de moins en moins chers.
Pour signifier leurs colères et leurs inquiétudes devant un écroulement à venir de la base agricole -- une base vieillissante de moins en moins remplacée par du sang jeune et passionné -- des actions ont eu lieu lundi 25 janvier dans toutes les campagnes de l’Hexagone. « Pour la Haute-Loire, nous avons rencontré huit directeurs de supermarchés à Brioude, Yssingeaux et Le Puy-en-Velay, détaille Laurine Rousset, présidente des Jeunes Agriculteurs (JA) 43. Par délégation de cinq personnes, nous sommes allés dénoncer le manque de redescente des prix payés aux agriculteurs ».
Aux côtés de Thierry Cubizolles, président de la FDSEA 43 (Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles), Laurine Rousset confie avoir été écoutée... mais pas entendue. « Ils nous ont seulement dit qu’ils feraient remonter nos revendications aux centrales d’achats de leur enseigne », livre-t-elle.
« Le prix doit commencer à partir des agriculteurs jusqu’aux consommateurs et pas l’inverse ! »
« Nous avons opéré ainsi pour mettre en exergue les actions de la grande distribution qui sont faites au détriment des producteurs, explique Thierry Cubizolles. C’est-à-dire faire toujours baisser les prix et faire mourir dans le même temps la base de l’agriculture ». Il continue, passionné : « Il faut que cette déflation cesse pour permettre aux producteurs de vivre. C’est ce qui est prôné dans la loi EGAlim. Que le prix doit commencer à partir des agriculteurs jusqu’aux consommateurs et pas l’inverse ! »
L’État, arbitre entre la base et les centrales d’achats
EGAlim. Ce mot revient plusieurs fois dans la bouche des interlocuteurs, brandi comme un talisman de protection contre les ogres de la grande distribution. « Les transformateurs, les distributeurs et leurs centrales d’achat doivent prendre en compte la détresse des agriculteurs et payer au juste prix le produit de leur labeur et leur travail, insiste Thierry Cubizolles. Cette condition est inscrite dans la loi EGAlim. Cela fait deux ans que la loi est en vigueur et ça fait deux ans qu’on ne voit rien arriver ! Ça suffit ! »
Et le rôle de l’État dans tout ça ? « Il est normalement le garant, continue le président de la FDSEA 43. Sa responsabilité est de faire l’arbitre dans les négociations. Encore une fois, il faut arrêter cette déflation. On ne peut pas demander de la qualité sans mettre un petit peu la main à la poche ».
La loi EGAlim à la loupe
Après avoir été adoptée par le parlement le 2 octobre 2018, la loi "pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine et durable" a été promulguée le 1er novembre 2018.
Trois objectifs :
Permettre aux agriculteurs d'avoir un revenu digne en répartissant mieux la valeur
Améliorer les conditions sanitaires et environnementales de production
Renforcer le bien-être animal
Favoriser une alimentation saine, sûre et durable pour tous
Réduire l'utilisation du plastique dans le domaine alimentaire
600 millions d’euros envolés
Leur amertume est d’autant plus forte qu'ont augmenté les bénéfices de la grande distribution en 2020. « Contrairement à une infinité de secteurs en France, les grandes surfaces ont bien profité de la crise sanitaire, appuie Laurine Rousset. En 2020, elle ont ainsi accusé une hausse de 1,8% de leur chiffre d’affaires. D’autre part, le relèvement du SRP (seuil de revente à perte) a permis de générer 600 millions d’euros de bénéfices depuis sa mise en application en 2019. Où est passé cet argent ? Peut-être est-il bien placé quelque part mais aucun agriculteur n’en a vu la couleur. »
Le SRP représente la limite de prix en-dessous de laquelle un distributeur ne peut revendre un produit sous peine d’être sanctionné. Il remonte ainsi de 10 % le prix de centaines de produits au quotidien.
« Qu’ils fassent attention à ce qu’ils décident car nous serons là. On sait se déplacer en nombre »
À la question de savoir quelles seraient les prochaines actions si les « grands » de l’alimentation s’obstinent à faire la sourde oreille, Thierry Cubizolles serre les dents. « On attend des réponses et on surveille attentivement les actions qui sont faites dans les boxes des centrales d’achat et des transformateurs. S’il n’y a pas de signaux positifs, on durcira les actions et je pense que ça va taper fort ! » Il ajoute, convaincu : « Que ce soit les distributeurs et les transformateurs, il faut qu’ils fassent attention à ce qu’ils décident car nous serons là. On sait se déplacer en nombre. On sait déplacer du matériel et des tracteurs. On a une force de mobilisation, une force d’impact. Le but, ce n’est pas d’en arriver là mais ce qu’on veut c’est être écouté ! Quand on en arrive là, c’est vraiment qu’on est au bout du rouleau et que personne ne veut comprendre la réalité de ce qu’il se passe dans nos exploitations ».
« Les jeunes générations ont raison de vouloir vivre décemment de leur production. Qui ne voudrait pas gagner de l’argent à hauteur de son travail ? Qui ? » Thierry Cubizolles
Les filières en berne
Derrière le prix, derrière le travail de la terre et des bêtes, se cache toute cette force vive que la non reconnaissance du système enterre petit à petit. « Pour certains filières, c’est catastrophique, se désole Thierry Cubizolles. Je pense notamment à la viande bovine qui constitue la majeure partie de nos territoires de la Haute-Loire. C’est cette filière qui entretient nos paysages, nos prairies naturelles, nos pâturages. Et ce sont pourtant ces producteurs qui sont les moins payés ».
Un autre exemple, celui de l’éternel combat du lait. « L’année dernière, avant le confinement, le monde laitier semblait se diriger sur une bonne lancée, affirme-t-il. Mais sous l’effet Covid et une hypothétique crise économique mondiale, les entreprises ont fait baisser le prix et moins payé le lait aux producteurs. Ça, c’est inadmissible ! »
Une morne vision de l’avenir
Les conséquences d’un tel mépris sont bien évidemment un désintérêt pour la profession et pour, parfois, la transmission de cette passion au sein même de la famille. « On a plus de 45 % des exploitants qui ont plus de 50 ans, nous apprend Laurine Rousset. Nous sommes dans une population très vieillissante. »
Thierry Cubizolles confirme les propos de sa consœur : « Si on veut donner des perspectives à nos jeunes et à nos successeurs, cela passe obligatoirement par le prix. Nos jeunes font des études agricoles, ce sont des passionnés. Mais un passionné reste réaliste. Si c’est pour trimer comme l’ont fait leurs parents durant toute leur vie, il n’y a plus d’espoir ».
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2 commentaires
N'oublions pas le consommateur final car c'est bien lui le vrai perdant surtout sur des produits qui ne sont pas produits par des agriculteurs (RICARD !!!) Quant aux agriculteurs, c'est komdab : la crise à cause de l'europe, des distributeurs...
Il fallait être naïf pour croire à cette loi "EGAlim". Celle ci mise en place par M. Macron et, à se demander si lui mème y croyait...Et, de comprendre que ces grande surfaces mettent en compétition leurs différents fournisseurs et cette fumante loi EGAlim elles s'y assoient dessus comme toujours...On en voit le résultat aujourd'hui...